Le Kerr bien accroché

Aussi décisif que lorsqu’il était joueur, Steve Kerr est peut-être celui dont on parle le moins chez les Warriors alors qu’il est pourtant l’élément essentiel du puzzle. Ce qu’il réalise depuis 2014 pour sa première mission en tant que head-coach relève en effet de l’exploit. Certes, l’ancien sniper des Bulls possède un roster extrêmement talentueux, peut-être le plus exceptionnel de l’histoire, qui s’est bonifié été après été. Mais pour l’instant, le head coach de Golden State est à la hauteur du challenge, et c’est après son arrivée que l’équipe a pris son envol.

« L’année la plus difficile »

Les pièges qui auraient pu faire basculer cette belle idylle ont été nombreux, entre ses soucis de santé qui lui ont coûté une longue absence en 2015-2016, ou ce revers de 2016 en finale, pour le moins frustrant au vu du scénario. Il y a aussi l’intégration de Kevin Durant qui, contrairement à ce qu’on pourrait penser, n’a pas été simple, mais a finalement permis à KD de devenir double MVP des Finals par la suite.

Et puis il y a eu cet exercice 2018-2019, sans doute le plus compliqué. Avec des prises de bec entre Draymond Green et Kevin Durant, des piques envoyées publiquement par KD à son coach, une attente et une pression toujours plus importantes, des adversaires plus déterminés que jamais pour les battre, et des blessures importantes qui auraient pu tout remettre en question. Mais une fois de plus, malgré les embûches, la franchise et son coach ont su faire front, et sont aujourd’hui récompensés de leurs efforts en s’apprêtant à disputer une cinquième finale consécutive. Seuls les Celtics de Red Auerbach ont fait mieux. Son ascension continue ne peut que forcer le respect.

« Je pense que cette année a peut-être été la plus difficile pour lui, que ce soit dans la dynamique et tout le reste qui s’est combiné à cela, a déclaré Bruce Fraser, assistant aux Warriors et ami de longue date de Kerr. Dès qu’on commençait enfin à se mettre en route, il se passait quelque chose, que ce soit une blessure, une grosse défaite. Il n’y a personne de meilleur que lui pour s’occuper de ce genre de choses. Steve aime les défis, mais les défis émotionnels sont plus délicats. Il faut convaincre les gens d’adhérer… Beaucoup d’équipes de la NBA sont confrontées à ça, ça n’a rien d’unique, mais je pense que l’agitation qui pouvait y avoir autour était unique par rapport à la culture de notre équipe ».

L’amour dure cinq ans

Au-delà des moments difficiles traversés par son équipe cette saison, Steve Kerr doit continuellement trouver des façons de se réinventer pour que son discours puisse continuer à passer auprès de ses joueurs, garder de la fraîcheur pour éviter de rentrer dans une routine, le plus gros piège. En NBA, on dit que la durée de vie maximale d’un coach est de cinq ans dans la même équipe. Après cinq ans, les joueurs cessent de vous écouter ou peuvent être lassés par le discours de leur entraîneur. Steve Kerr va passer ce cap cet été, et forcément, la question lui a été posée sur les moyens de repousser cette limite.

« En général, je pense que c’est assez vrai, que la vie d’un coach tourne autour de ces cinq ans. Mais je vois aussi des exceptions, a-t-il répondu, en citant deux de ces anciens coachs, Phil Jackson et Gregg Popovich. L’effectif y est pour beaucoup. Si vous avez la chance d’avoir des joueurs avec du caractère comme nous, je pense que ça peut durer plus de cinq ans ».

La force de la continuité, mais pas que

Pour ce qui est de son discours, celui-ci semble toujours aussi bien passer vis-à-vis de ces joueurs. Andrew Bogut a par exemple déclaré qu’il n’avait jamais vu meilleur coaching de Steve Kerr que lors de la dernière série face à Portland. « Bogs essaie sans doute de m’envoyer des fleurs afin d’avoir un peu plus de temps de jeu en finale », a-t-il d’abord répondu en plaisantant avant d’expliquer la vraie raison de cette entente avec son groupe sur la durée.

« C’est un réel avantage en tant qu’entraîneur d’avoir la continuité que nous avons eue au cours des cinq dernières années et le succès. Il y a un niveau de confiance plus profond au sein du groupe, et donc quand Bogut dit que j’ai bien coaché sur une série, je dirais que les joueurs ont fait un excellent travail grâce à leur confiance mutuelle et leur confiance dans le projet de jeu. Et lorsqu’on met en place notre plan de match, on demande aux joueurs ce qu’ils en pensent. C’est donc une collaboration, et c’est un réel avantage. Je ne sais pas combien d’équipes de la ligue peuvent dire qu’elles ont une vraie collaboration. J’ai déjà ressenti ça à Chicago et à San Antonio en tant que joueur. Quand on a une combinaison de talent, de très bons êtres humains, un bon staff et que vous collaborez tous ensemble, c’est une force assez puissante. C’est comme ça que je vois les choses ».

Pour l’instant, Steve Kerr confie ne souffrir d’aucune lassitude et ses joueurs adhèrent toujours autant à sa philosophie. Pour Bruce Fraser, c’est ce respect et cette confiance mutuelle qui maintiennent la relation entre le coach et son vestiaire au beau fixe, peu importe les tempêtes.

« C’est presque impossible pour un coach de ne pas « vieillir » vis-à-vis de ces joueurs, assure-t-il. La chose qui sauve Steve de cette loi des cinq ans, c’est que les joueurs croient en lui. Même si son discours peut être redondant, il a ce lien de confiance fort, basé sur leur passé ensemble, mais aussi sa façon d’être humble, honnête et intelligent. Et les joueurs savent que, même s’ils peuvent être fatigués de l’entendre, c’est bien cette voix qu’ils vont écouter lorsqu’on sera dans le money-time. Parce qu’ils continuent de lui faire confiance, c’est ça le plus important ».